ENSAN #
NAN 0.1020.44
Quelques sons de bambous s’entrechoquant parviennent à tes oreilles. Alors tu t’approches et découvres, se dressant au milieu de l’école, intrigante, l’antre du bambou. La répartition des bambous, de différentes tailles, permet d’entendre dix sons particuliers et forme un instrument de musique. Chaque fois que tu entreras en son cœur tu composeras une nouvelle mélodie et une surprenante chorégraphie des ombres. Une fois à l’intérieur de l’antre, coupé de l’environnement extérieur, tu ressentiras la matière des bambous qui t’entourent et prendra conscience de leur nature. Prends le temps d’observer leur composition si particulière et d’écouter leur musicalité. Au centre, le cœur du bambou, brûlant, orchestre ce concerto. Il se dévoile, se dénudé. La lumière montre et trahi sa fragilité. Si tu le regardes, il te parait frêle, mais sa force se cache de ce qu’il te montre : ses fibres.
SCÉNARIO :
Suspendu au centre de l’espace, le dispositif est immobile, il semble reposer sur le sol. La mise en valeur d’une tige centrale qui se dresse au milieu d’une forêt de bambous et sa couleur vive qui oscille entre rouge et orange attire le regard. Cette tige apparaît et disparaît, cachée au cœur de l’installation.
L’homme est curieux, ce jeu visuel et ces tiges de bambou suspendues attirent son corps.
Il faut se frayer un passage. Vient alors le premier contact physique avec la matière, associé à l’animation complète de la structure, provocant l’entrechoc et la résonnance des matériaux.
La structure tourne sur elle-même dans un sens puis dans l’autre et répand une musicalité propre au bambou.
Encouragé par la forme et les dimensions de l’installation, un plan circulaire de 2m², ce contact est inévitable. En poussant les tiges à l’aide de ses mains ou de son corps en entier on traverse la barrière de bambous qui nous sépare du cœur et on entre dans la forêt.
Les bambous continuent de s’entrechoquer et les sons résonnent dans l’espace du plateau 1A de l’ENSAN.
On se retrouve alors au cœur du dispositif, en immersion sonore dans le mouvement et l’entrechoc des bambous, au contact de sa texture interne.
La chaume centrale réchauffe et révèle le cœur et les fibres du bambou.
On tourne autour, on la touche pour espérer comprendre ce phénomène. Ça a l’air chaud mais ça ne l’est pas, ça a l’air solide mais ça ne l’est pas. Une fois rassasié, on ressort, provocant une nouvelle fois la mise en mouvement des bambous et leur son atypique.
Cette musique nous suit lorsqu’on s’éloigne jusqu’à ne plus percevoir cet orchestre particulier.
L’EXPERIMENTATION QUI A VU NAÎTRE ANTRE CHOC
ENSA, Nantes, France
Nous sommes partis d’un constat, le bambou est un matériau populaire et que nous connaissons tous plus ou moins bien. Nous avons commencé par essayer d’apprivoiser le bambou de manière intuitive. Redécouvrir son toucher, sa sonorité, sa solidité.
Au premier regard le bambou semble chaleureux, exotique.
Sans protocole spécifique notre approche se voulait sensible et spontanée.
Il parait solide, dur, encerclé de ses nombreux noeuds. Au premier toucher il étonne, doux, léger et lissé. Au premier son il nous transporte au beau milieu de la foret Arashyhama à Kyoto. On entendrait les oiseaux chanter et la vagues s’échouer.
Au premier coup porté à son tronc il entonne une mélodie, des sons aigus et chantants qui varient selon sa taille et l’endroit où tu l’attaque.
Sa couleur se décline, nuancée d’un doré altéré ou d’un beige verdâtre. De sa section l’on découvre une multitude d’alvéoles, dégradées de beige foncé à marron clair.
En bref, le bambou est beau, il sent bon et en plus, il fait de la musique. Mais nous avons étudié le bambou de plus près, l’avons cassé, fissuré, percé, mouillé, brulé, scié.
Il se prête volontiers à toutes les expérimentations.
Poncé, il revêt une autre robe, plus douce, plus charismatique, plus nuancée, plus corsée. Scié à la machine il dévoile une section lisse et un intérieur semblable à une mousse, compacte et dense, repartie sur la paroi intérieure en une légère pellicule.
Agréable au touché mais aussi au regard, la tige de bambou qu’elle soit tranchée ou simplement trouée en quelques endroits apaise et enchante.
Les sons qui en sortent diffèrent sans cesse et nourrissent l’imagination.
Véritable orchestre végétal il invite à la création musicale spontanée. Suspendus, ils interagissent, s’entrechoquent et se connectent et pourraient créer une forêt invitant à de nouvelles sensations..
L’HISTOIRE QUI A VU NAÎTRE ANTRE CHOC
Arashiyama, Kyoto, Japon.
Des milliers de bambou nous entourent. Tous semblables mais pourtant tous différents, le corps s’y perd, les repères disparaissent. Le corps déambule. Une relation avec ces hôtes se crée, une confiance s’installe. La marche continue. Le dialogue s’intensifie entre nos corps, humain et végétal. Le corps s’apaise. La déambulation devient plus lente. Tout semble soudain être guidé par une force mystique et invisible.
Un regard vers le ciel, le vertige est ressenti. La cime inatteignable des bambous se meut au passage du vent frais du crépuscule. Les sifflements provoqués par son passage dans les branches s’accompagnent de brides d’un bruit sourd.
Les bambous s’entrechoquent. L’esprit de l’arbre s’exprime.
Le Kodama est là, omniprésent.
Cet esprit invisible règne en maître au sein de la forêt. Intouchable, son énergie est palpable au contact des peaux, humaines et végétales. Sillonnant les milliers de rhizomes, il nous guide jusqu’à lui. Il est prêt à nous laisser l’entrevoir.
Le voilà enfin. Son coeur rougeoyant se laisse percevoir au travers de ses semblables. Le corps s’approche lentement au travers des bambous pour atteindre cette quintessence.
Les bambous s’entrechoquent. L’esprit de l’arbre nous donne ses dernières consignes.
Nous l’atteignons. Autour de nous une antre se dessine comme pour le protéger. Puissant mais vulnérable, il se dévoile sous son dernier apparat. Son enveloppe pelée jusqu’à la dernière couche laisse rayonner son coeur en fusion. Le toucher est inévitable.
Au contact des peaux, une relation chamanique se crée.
Nous voilà connectés.